Quincy Jones, l'homme aux mille tubes

Thriller, Off the Wall, The Dude : tu te souviens ? Reconnu par la critique et le grand public, Quincy Jones nous a quittés le 3 novembre 2024. Compositeur et producteur de renom, sa carrière fut empreinte d'immenses succès. Aussi bien solo, que collectifs. A la manière d'une oraison, retour sur soixante-dix ans d'avancées musicales.

Mélo-die
6 min ⋅ 28/11/2024

Amis du soir, bonsoir,

Pour être honnête, je ne pensais pas casser aussi tôt les règles que j’imposais sur cette newsletter. Certes, casser est un bien grand mot ; en tout cas brûler quelques étapes. Le but de Mélo-die ? Retracer des vies maudites d’artistes, des tragédies gravitant autour de cet art. Cependant, l’actualité réussit à prendre le pas sur une ligne éditoriale.

En effet, la deuxième édition de cette newsletter devait porter sur DJ Clark Kent. Producteur de grand talent, il connut la gloire pour être aux commandes d’albums de Notorious B.I.G ou encore Jay-Z. Nous ayant quittés fin octobre, la newsletter aurait eu pour but de rendre hommage à des hommes de l’ombre. Un peu plus frais, vu que l’on parlait de Kurt Cobain lors de la première newsletter.

👆 Ci-dessus, vous avez droit à une première : une playlist attitrée au thème du jour ! Tout en lisant ces quelques mots, vous pouvez apprécier l’œuvre du monsieur. Forcément, beaucoup de Michael Jackson. Mais aussi, d’autres collaborations, des morceaux tirés des albums de Quincy Jones himself… Et un petit peu de DJ Clark Kent, en conclusion.

Celui qui prenait la photo

Janvier 1985. Quincy Jones travaille sur la bande originale de la Couleur Pourpre. Il reçoit un appel de Ken Kragen, manager de Lionel Richie. Il lui explique avoir été contacté par l’activiste Harry Belafonte, cherchant à tout prix des fonds pour contrer la famine en Ethiopie. Jones est engagé pour devenir producteur d’une chanson caritative. Presque une première dans l’industrie. Une idée de génie qui en suit : il téléphone à son pote Michael Jackson, tout juste sorti de tournée.

C'est sûr que ça a une autre tronche que Mimie Mathy et Bénabar.

Et la magie opère. Le King of Pop se met à travailler comme un forcené, aux côtés de Lionel Richie. En quelques jours, le trio boucle la musique, des paroles à sa structure. Entre-temps, l’influence de Quincy mène les superstars à s’aligner en faveur du projet. Ray Charles, Billy Joël, Diana Ross, Bruce Springsteen… La crème.

Dans un tube qui atteindra les vingt millions de ventes (8e single le plus vendu de l’Histoire), les plus grands du moment se sont réunis en tant que chorale. Comme un symbole, leur chef d’orchestre ne pouvait être que Quincy Jones. Aussi bien pour son passif activiste, que son immense pedigree musical.

L’album parfait

Ce succès de 1985 sera le dernier grand fait d’armes du natif de Chicago. A partir de là, Quincy Jones se concentre davantage sur le cinéma et la télévision. Notamment en produisant une petite série sur NBC dans les années 90… Le Prince de Bel-Air. Série qui lancera Will Smith dans le petit et grand écran. Même dans d’autres domaines, il est capable de faire de grandes carrières.

En même temps, quand tu produis l’album le plus connu de l’histoire, difficile de faire mieux. Ayant offert une indépendance à Michael Jackson avec l’album Off the Wall (1979), le duo prend une autre tournure. La rage au ventre, Michael souhaite un album uniquement fait de tubes.

En plus d’être un perfectionniste, Michael est aussi un génie créatif. Des dizaines, des centaines de démos pour chaque track sont effectuées. Mais Quincy demeure la tête pensante. Par exemple, Pretty Young Thing (P.Y.T.) prend ce rythme effréné sous son initiative, à l’origine plus lancinant.

Mais, un autre morceau de l’album fait débat. On y insère tout au début, un solo de guitare de trente secondes. Ce qui déplaît fortement à Quincy Jones, demandant à Michael de le retirer. Rien n’y fera. Ce morceau, c’est Billie Jean. Potentiellement le morceau le plus culte du XXe siècle. Comme quoi, être un immense producteur n’empêche pas de se tromper. Parfois.

Michael devait être bien chaud au Super Simon.

Album au casting cinq étoiles, différents artistes de talent ayant été appelés à la composition. Par exemple, le groupe Toto compose la maquette de Human Nature. Mais il faut surtout évoquer Eddie Van Halen, derrière le solo de guitare légendaire faisant la magie de Beat It. Un solo qu’il a d’ailleurs réalisé bénévolement, à la surprise générale :

« Je l'ai fait comme un service [...] D'après le reste du groupe, mon manager et à peu près tout le monde, j'ai été un idiot complet, mais on ne m'a pas manipulé. Je ne fais rien si je n'ai pas envie de le faire. »

Olivier Cachin, Michael Jackson : Pop life, Éditions Alphée, 2008.

Autre élément capital dans l’arrière-cuisine : la venue de Rod Temperton. Claviériste et associé de longue date de Quincy Jones, il compose Baby be Mine ou la magnifique Lady in my Life. Surtout, ce même Temperton va proposer une bande démo particulière : Starlight. Adorée par Michael, il fallait cependant l’étoffer quelque peu. On va basculer la thématique de la chanson dans un autre monde : l’horreur. Les morts-vivants. Belle idée pour notre newsletter. Vous l’aurez compris, on parle bien du titre éponyme à l’album : Thriller. 🧟‍♂️

Zoo de Beauval, 1982

Pas de suspense futile, l’album devient un raz-de-marée. Numéro 1 aux Etats-Unis, en France, en Australie, au Canada… Ou vous voulez, en fait. Tout le monde reste sans voix devant ce classique instantané, d’une production superbe, modernisant les thèmes romantiques. Le 7 février 1984, Thriller atteint son objectif. Il dépasse les Greatest Hits des Eagles, devenant l’album le plus vendu de l’histoire. Il faut dire que le clip, sorti fin 1983, a bien aidé. Aujourd’hui, on estime le nombre à plus de 70 millions de ventes.

Un chiffre que Michael aurait bien voulu dépasser. Un jour, Michael écrira deux mots sur un bout de papier. “100 millions”. Un objectif dingue que lui et Quincy Jones tenteront d’atteindre comme des forcenés. Ce qui donne Bad, sorti à l’automne 1987. Objectif forcément échoué, mais qui résulte en un autre grand classique des années 80. Déjà ça de pris.

Le “Dude” derrière Thriller

Bon, fini de parler de Michael. Ou presque. Car Quincy Jones, au-delà d’avoir créé des tubes immémoriaux, eut une carrière solo remarquable et sous-estimée. A commencer par un album qui d’une quelconque manière, rappelle un peu Thriller. Sorti un an auparavant, voici The Dude.

Les ressemblances entre les deux sont pour le moins troublantes. Neuf titres. Un certain éclectisme au fil des titres. Rod Temperton aux fourneaux sur la moitié du disque. Collaboration avec d’autres gros artistes, tels que Patti Austin, Stevie Wonder, Herbie Hancock… Et Michael Jackson. La boucle est bouclée. Et la recette gagnante va être gardée dans un coin.

Forcément un album très jazz, on y ressent beaucoup de sonorités modernes pour l’époque. Notamment funk et pop, avec des singles comme Ai No Corrida. Là, rien ne transpire davantage les années 80. Mais il faut des producteurs pour créer ces sons, ces morceaux presque “avant-gardistes”. Quincy Jones faisait partie d’entre eux.

Plus groovy, aussi bien risqué que commercial, The Dude devient son plus grand succès solo. Très bien reçu par la critique, l’album permet aussi de donner davantage de notoriété au producteur. Notoriété créée par sa première collaboration avec Michael Jackson : Off the Wall. Disque de platine (un million de ventes) et douze nominations aux Grammys, comme une habitude.

Boss de la bossa-nova

Quincy Jones, c’est 28 Grammy Awards, cinq millions d’albums vendus en solo et bon nombre de productions musicales. Pas tout mal pour un enfant issu de milieu très modestes. Tellement modestes qu’il devait se nourrir de “rats frits” dans sa jeunesse (biographie). Devenu petit truand dans la banlieue de Chicago, il découvrira à l’âge de treize ans. Epiphanie.

Bouleversé par la musique, il va traverser différentes villes d’Amérique. Notamment Seattle, où il va rencontrer un autre jeune garçon très talentueux. Atteint par la cécité, ce petit gars s’appelait Ray Charles. Ils formeront un duo durant quelques années.

Il a encore dû lui faire la blague du "combien j'ai de doigts".

Pour parfaire son éducation musicale, Quincy va s’envoler pour Paris. Il devient l’élève de Nadia Boulanger, professeur avant-gardiste ayant eu Maurice Ravel ou Igor Stravinsky comme élèves notoires. Sa plus grande influence musicale. Entre-temps, il deviendra arrangeur pour le célèbre Eddie Barclay. Il y enregistre alors des albums pour Jacques Brel, Charles Aznavour ou encore Eddy Mitchell.

Grand admirateur du Brésil, Quincy Jones sortira son premier classique en 1962. Reprenant nombreux thèmes locaux, Big Band Bossa Nova est un album à écouter dans son intégralité. Fin, récréatif et rempli d’un son magnifiquement pur. Un équilibre rarement atteint et encore transmis aujourd’hui, preuve avec Soul Bossa Nova :

S’il ne fallait en retenir qu’un…

Partie traditionnelle de notre voyage : conseiller des musiques. Comment choisir judicieusement trois, quatre musiques d’un homme qui en a produit des centaines. Voire des milliers ? La réponse paraît évidente : tu ne peux pas. Mais tu peux essayer.

Michael Jackson - For All Time

Connaissez-vous la réédition Thriller 25 ? Sortie en l’honneur de son 25e anniversaire, on y retrouve des reprises de P.Y.T. ou Beat It, avec Justin Timberlake ou Akon. Or, on retrouve aussi un single d’époque, qui n’avait pas passé le cut des neuf titres retenus. For All Time reste une bien jolie ballade.

Michael Jackson - Man In The Mirror

Parmi les fans de Michael Jackson, se trouve un consensus assez général. Man In The Mirror reste la meilleure chanson de la carrière du King Of Pop. Peut-être pour une raison bien particulière. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas Michael à l’écriture des paroles. Alors, un titre sur la condition humaine, reflétant sa philosophie, on en a déjà eu par le passé.

Mais, sans la candeur propre à un pré-adolescent ? On retrouve alors une puissance encore inégalée aujourd’hui dans chaque mot. Et encore une fois, la qualité de la production, des percussions…

The Secret Garden - Quincy Jones, Barry White, Al B. Sure!, James Ingram & El DeBarge

1989, Quincy Jones sort un autre album solo, Back on the Block. Gros succès commercial et élu meilleur album de l’année aux Grammys, l’album représente encore une fois son producteur. Très empreint de jazz, mais très ouvert aux nouveautés. Notamment le R&B, voire le rap, omniprésent dans la décennie qui suivra.

Il serait peu productif d’énumérer les collaborations faites pour ce projet (plus de cinquante !). Alors, on préfère vous laisser avec un très bon aperçu. Conclusion de l’album, le grand Barry White entouré de la nouvelle génération. Rarement entendu plus doux, plus mielleux pour les oreilles.

Quincy Jones - Razzamatazz

Pour terminer, revenons sur quelque chose déjà évoqué. Milieu d’album The Dude, on retrouve une belle collaboration avec Patti Austin, formant un des singles de l’album. Si la chanteuse sort une performance rappelant Anita Ward (donc très actuelle), écoutez les cordes et les cuivres. Si ça ce n’est pas du Thriller en puissance, autant arrêter d’écrire sur la musique et se retourner dans sa tombe.

Fin du voyage, retour chez les vivants

Ainsi s’achève ce deuxième chapitre de Mélo-die. Encore une fois, j’espère que vous aurez appris un tas de choses et découvert quelques musiques. Personnellement, j’ai hésité avant de réaliser cet épisode, pour les raisons éditoriales déjà évoquées. Cependant, si l’on ne prend pas le virage tout de suite, dans le cadre de personnalités parties récemment, plus jamais nous aurions l’occasion d’évoquer certains. Et je n’ai pas très envie que la série s’arrête au bout de dix épisodes.

Si vous avez des propositions d’artistes maudits ou d’histoires en lien avec la musique et la mort, ainsi que des remarques sur mon travail, n’hésitez pas à me le faire savoir ! Aussi bien qu’en commentaires, que par le contact suivant : mathieuplasse@yahoo.com.

D’ici-là, portez-vous bien, et gardez vos esprits actifs. Et vos oreilles.

Mélo-die

Par Mathieu Plasse

A l’origine, étudiant en Master Journalisme plutôt concentré autour du sport (SoFoot, Douzième Homme). Aujourd’hui, j’ai fait le choix de recentrer cette newsletter vers une autre passion sur laquelle je n’avais pu encore écrire par le passé : la musique. Ce, dans une facette bien particulière.

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