Chanson phare de la carrière de Barbara, l'Aigle Noir fait partie des grands classiques de la variété française. 55 ans après sa sortie, l'oiseau continue de voler au-dessus de nos têtes. A l'image de Gérard Depardieu, s'acharnant à la chanter en dépit de ses accusations de viols. Portrait d'un texte, toujours plus ancré dans la société française.
Amis du soir, bonsoir,
Après une première partie sur Sirima, il est temps d’évoquer une autre femme de talent sur Mélo-die. Chanteuse marquée par son écriture pleine de poésie, sa voix douce et pleine de puissance ou ses habits sombres, elle aura marqué le XXe siècle de la chanson française. Celle qui a chanté sur la guerre, sur l’amour, la mort, la nostalgie, l’enfance et tant d’autres… Grande amie de Jacques Brel et Pierre Arditi, nous parlons bien de la “Dame en Noir” : Barbara.
Pour trouver une image : s’il devait y avoir un Mont Rushmore des chanteuses françaises, les quatre visages sont déjà taillés dans la pierre. Mylène Farmer, Edith Piaf, France Gall, et Barbara. N’en déplaise aux fanatiques de Françoise Hardy. C’est dire à quel point elle a marqué son époque. Avec des titres comme “Dis, quand reviendras-tu ?”, “Nantes” ou “Marienbad”, rien ne peut être égalé avec son Aigle Noir, qui l’a hanté jusqu’à la fin de ses jours.
Année 1970. Tout juste après l’échec de Madame, sa pièce de théâtre musicale. Barbara peaufine un nouvel album, aux côtés de ses collaborateurs habituels, qu’ils soient Roland Romanelli, Michel Colombier ou Jean-Jacques Debout. Pour terminer son dix-titres, elle se rend compte qu’il lui manque un morceau. Par hasard, elle retrouve dans un fond de tiroir un texte vieux de plusieurs années. Ce texte avait été écrit à la suite d’un rêve, où elle aurait vu un aigle fondre sur elle.
La suite, vous la connaissez. Le titre donnera son nom à l’album, deviendra un succès commercial mais aussi le plus grand titre de sa carrière. Encore aujourd’hui, le morceau fait partie des chansons préférées des français. Pas mal pour un bout de papier au fond d’une commode.
Que nous raconte-t-on dans cette chanson ? Eh bien, Barbara, près d’un lac, endormie, se voit emmenée par un Aigle noir, dans un voyage toujours plus onirique et décousu. On y voit une certaine proximité avec cet aigle, puisque Barbara affirme qu’elle l’a “reconnu”. Donc, on peut dire sans se tromper que l’aigle a une portée métaphorique. Mais métaphore de quoi ?
Pour un texte aussi mythique et empreint de mystères, les interprétations sont nombreuses. Certains croyaient juste à un conte. Mais pendant de nombreuses années, on ne voyait qu’une version, logique et évidente au vu du passé de la chanteuse. Pour cela, il faut s’intéresser à la personne derrière Barbara. Monique Serf, fille de commerçant dans la fourrure, naît dans le 17e arrondissement de Paris, le 9 juin 1930. Son enfance va être bouleversée, comme des millions d’autres, pour une raison : ses parents sont juifs.
On ne dirait pas comme ça, mais oui c'est Monique Serf, Barbara quand elle était plus jeune.
Forcément, la jeune fille va connaître une enfance très mouvementée. Entre traques, présence de ses parents par intermittence, déménagements aux quatre coins de la France. Il y a de quoi laisser des séquelles. Alors, on a fini par croire que cet Aigle, c’est l’Allemagne nazie, la Gestapo. C’est d’ailleurs ce que proclamait Patrick Bruel, en parlant de son album Très souvent je pense à vous…, où il reprenait Barbara :
C’est une chanson avec plusieurs lectures, mais elle représentait pour nous l'aigle des heures les plus sombres de notre histoire.
Patrick Bruel, 2015
De plus, le double sens fonctionne avec le titre de la chanson. Car comme vous le savez sans doute, le “Reichsadler”, utilisé pour les armoiries de l’Allemagne, surtout au temps de la Seconde Guerre Mondiale, représente un Aigle noir. Tout tombait sous le sens. Mais, Barbara va nous offrir un élément qui renverse toute cette interprétation.
Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. Parce qu’on les soupçonne d’affabuler. Parce qu’ils ont honte et qu’ils se sentent coupables.
En 1998, sortent ses mémoires inachevés, quelques mois après sa mort. “Il était un piano noir…” évoque toutes les facettes de sa vie, du plus gai au plus dramatique. Au-delà de la Seconde Guerre, il y a un autre fait de vie qui va briser la jeune Monique. Le comportement incestueux de son père, jusqu’à ses dix-neuf ans. Il faudra que l’homme quitte définitivement le foyer pour qu’elle n’ait plus à le supporter.
Les Mémoires de Barbara.
Le psychanalyste Philippe Grimbert va alors se pencher sur les paroles de l’Aigle noir. Toujours intrigué par la chanson, celui qui est aussi écrivain tente de faire correspondre le texte avec les derniers mots de Barbara.
Une phrase m’a vraiment fait dresser l’oreille : “c’est alors que je l’ai reconnu” . Qu’est-ce que c’est, que cet objet qui vient du passé ? Et alors je me souvenais d’une autre parole : “il m’était revenu”, qui apparaît aussi dans “Nantes”, autour d’une visite de son père. Je dirais même que, Barbara nous donne les clés pour comprendre ce qu’il s’est passé. “De son bec, il a touché ma joue. Dans ma main, il a glissé son cou”.
Barbara intime, France Inter
Autres paroles qui sautent aux yeux de Philippe Grimbert, la répétition de “Comme avant”, soit la volonté désespérée. Celle d’une petite fille, qui aimerait n’avoir jamais eu à subir tout cela, et revenir au point de départ. Celui d’un monde où “l’oiseau roi couronné” n’avait pas été déchu, et n’avait pas commis l’irréparable. Certaines paroles semblent même avoir été retirées de la chanson, telles que celle-ci :
J’avais froid, il ne me restait rien
L’oiseau m’avait laissée seule avec mon chagrin.
On est un peu loin du voyage onirique. Certes, la chanson possède un (double ? triple ?) sens caché, d’une profondeur et d’une sombritude inexploitée. Pourtant, une seule personne connaît la véritable identité de l’Aigle noir. Monique Serf, alias Barbara. Et la question restera à jamais sans réponse. Elle qui ne donnait jamais vraiment d’explications à ses textes, elle n’avait jamais osé dire les mots “viol” et “inceste” en ce qui concerne son père. Sûrement était-ce trop difficile. Peut-être le fallait-il pour recommencer à apprécier la vie. D’autres vont pourtant se charger de faire véhiculer ce message.
Au fil de cet article, nous avons évoqué certaines relations, amoureuses comme amicales, de Barbara. Jacques Brel, Pierre Arditi, Michel Colombier, Jean-Jacques Debout… Il en manque une. Gérard Depardieu. Devenus âmes soeurs durant les années 80, ils monteront ensemble sur les planches pour “Lily Passion”, pièce musicale. Le pitch ? L’histoire d’une chanteuse à succès éprise d’un assassin, qui « tue partout où elle chante ». Sans blagues.
Les deux se rendront de multiples services. Guillaume Depardieu, le fils de Gérard, composera pour le dernier album de Barbara, tandis que Barbara composera pour l’album d’Elisabeth Depardieu, femme de l’acteur à cette époque. Gérard Depardieu rendra alors, vingt ans après sa mort, un grand hommage pour son amie. Un album, un spectacle et une tournée.
Voilà qu’en 2017, le double César du meilleur acteur se saisit d’un micro, et chante les plus grands classiques de Barbara. La prestation émeut, est bien reçue de tous, anobli de la promesse que Depardieu ne s’éternisera pas. Histoire de ne pas en faire son gagne-pain. Sept ans plus tard, Gérard Depardieu se produit toujours, mais ce n’est pas le pire.
On vous montre juste l’image, on ne va pas vous l’infliger.
Non, le pire est ce qu’il se passe derrière le rideau. Depuis le lundi 24 mars 2025, s’ouvre le procès de Gérard Depardieu. Parmi le nombre d’affaires sulfureuses (pour ne dire plus) à son sujet, l’acteur est accusé d’agressions sexuelles par deux femmes sur le tournage du film “Les Volets Verts” en 2021. Affaire médiatisée, en témoigne l’exclusion d’Anouk Grinberg de la salle d’audience. Sans occulter qu’il avait déjà été accusé d’agressions sexuelles par pas moins de treize femmes, toutes dans l’industrie cinématographique.
Chacun aura sa sensibilité vis-à-vis de la “cancel culture”. Personne n’a à juger le choix d’une personne, si elle considère qu’un artiste ayant commis des violences sexuelles ne peut plus être vue comme un artiste ou non. Si vous le pensez, très bien. Si vous ne le pensez pas, très bien aussi. En revanche, qu’un homme ayant possiblement commis des actes aussi répugnants puisse chanter l’Aigle Noir de Barbara ? Disons qu’un rappel à la décence s’impose.
Pas sûr qu’elles prennent l’Aigle noir comme un nazi. (Crédit photo : Frédéric Charmeux)
Et bien des personnes pensent comme ceci, à l’image des féministes. Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse.. Aux quatre coins de la France, les associations se lèvent pour que Depardieu ne pose plus ses serres sur un micro. Le slogan “Depardieu, l’Aigle noir, c’est toi !” devient viral. Une opération qui prend une certaine efficacité, de nombreux concerts ayant été déprogrammés au fil des mois.
Depardieu peut être aussi virtuose qu’il le souhaite sur les partitions de son amie, l’opinion publique semble avoir fait un choix. Chanter l’Aigle noir, avec l’interprétation qu’on lui porte, aussi bien ici dans cette chronique que les féministes, ne peut plus être possible. Se servir du nom de Barbara pour se défendre et amener Gérard Darmon et Victoria Abril à signer une tribune n’y changeront pas grand-chose. Et dans le cas où Barbara évoque vraiment son père lorsqu’elle écrit les paroles de l’Aigle noir, ce procès sert à une chose. Contrairement à son époque, on peut aujourd’hui baptiser l’Aigle d’un prénom.
Sylvie Vartan - L’amour, c’est comme une cigarette (1981)
On vient de penser à Sylvie Vartan, à l’affiche d’un film au titre éponyme, aux côtés de Jonathan Cohen et la sublimissime Leïla Bekhti. Et il est vrai que l’on a tendance à passer à côté des chansons de celles qui vient d’Iskretz, en Bulgarie. De La Maritza à Baby C’est Vous, elle a marqué trois décennies par des chansons et des mélodies très américaines. Notamment la chanson ci-dessus, que l’on pourrait adapter sans problème à Broadway.
Joan Baez - Here’s to you (1971)
Faire une chanson culte, dansante et engagée avec quatre lignes, impossible ? Joan Baez l’a fait. A l’origine pour le film Sacco et Vanzetti, histoire vraie de deux anarchistes italiens exécutés à tort, la chanson fera le tour du monde. Aussi bien des campings, que dans les manifiestations du mouvement des droits civiques. Joan Baez, Damien Saez, y a comme un pattern…
Shirley Bassey - Diamonds are Forever (1971)
La chanson est encore populaire aujourd’hui, notamment grâce à Kanye West et aux Arctic Monkeys. Mais elle connaissait déjà un grand succès pour être la bande originale des “Diamants sont éternels”, septième volet de la saga James Bond. 1971, une année bénie pour les bandes originales. Trois minutes où l’on peut profiter de la puissance de la chanteuse galloise.
Voilà pour ce cinquième épisode de Mélo-Die. Un travail qui essaye de résumer l’histoire cachée et sociétale d’une chanson culte, sur plus de cinquante ans. Clôture aussi de notre double partie consacrée aux femmes dans la musique française. Le tout fait durant le mois de mars, comme si ce mois était intégralement consacré à elles. Est-ce que cela est dit pour dissimuler une lenteur d’écriture ? Ne soyons pas mauvaises langues.
Le prochain épisode est déjà tout trouvé. Sa date de parution reste inconnue (croisons les doigts pour le mois d’avril), mais son sujet est clair. Pour preuve : il y a deux indices cachés dans cet article. Et un troisième avec ci-dessous 👇
Bon, là, faut prier pour pas se prendre de copyright par Disney.
Si vous avez des propositions d’artistes maudits ou d’histoires en lien avec la musique et la mort, ainsi que des remarques sur mon travail, n’hésitez pas à me le faire savoir ! Aussi bien qu’en commentaires, que par le contact suivant : mathieuplasse@yahoo.com.
D’ici-là, portez-vous bien, et gardez vos esprits actifs. Et vos oreilles.